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Histoire d'une Marque:
Un Miracle Nommé Lange & Söhne

Par Jeanne Hoffstetter 'La Revue des Montres N° 35/98' (sans les montres modernes)

Grâce au fabuleux pari de Walter lange, quatrième du nom, l'Allemagne en général et A. Lange & Söhne en particulier retrouvent le rang qu'elles n'auraient jamais dû perdre dans la course acharnée aux premières places, que se disputent les horlogers de prestige. L'histoire reprend enfin ses droits...

D'aussi longtemps que s'en souvienne Walter Lange sa vie est, plus qu'aucune autre peut-être, une affaire de temps; suivant en cela celles de ses ancêtres. Et si comme le dit la chanson, «le temps ne fait rien à l'affaire», pour Walter il en est autrement. Réduite au silence depuis 1948, par une décision politique arbitraire, c'est à l'opiniâtreté, aux convictions de son héritier, que la manufacture doit d'avoir pu depuis 4 ans reconquérir ses galons et prouver ainsi que le plus beau fleuron de la culture horlogère allemande n'a pas dit son dernier mot. A plusieurs reprises blessé, d'aucuns le crurent finalement mort et enterré. Erreur! Lange & Söhne prouve aujourd'hui que l'expression renaître de ses cendres signifie quelque chose. Les stars de l'horlogerie contemporaine comptent de nouveau dans leur petit monde l'intrépide allemande, qui n'entend plus se contenter d'être l'objet de convoitise des grands collectionneurs, auxquels certains politiciens zélés l'avaient réduite. Si les superbes mécaniques que sont les montres anciennes Lange en avaient le pouvoir elles pourraient nous raconter bien des choses, tant leurs racines sont de longue date ancrées dans la terre saxonne. Et si en 1845 Ferdinand Adolph Lange, arrière grand-père de Walter, crée à Glashûtte un centre d'horlogerie de précision loué de tous, la famille, bien que modestement, jouait déjà quant à elle depuis un certain temps du cadran, sans soupçonner le moins du monde que la chose ferait un jour courir plus d'un fouineur de par le globe. Car la chasse aux petits chefs-d'oeuvre saxons n'a jamais connu de période de clôture A qui la faute ou plutôt grâce à qui?

Dans les cuisines du château de Dresde
La saga d'une marque prestigieuse ne saurait être dissociée de l'histoire du pays qui l'a vue naître, en l'occurrence ici, l'ancienne Saxe. Ainsi, pour repousser aussi loin que possible les limites de notre histoire, le mieux est encore de l'aborder par le biais du célèbre FrédéricAuguste 1er dit «le fort», Electeur de Saxe devenu en 1697 roi de Pologne sous le nom d'Auguste II. La légende veut que l'Auguste souverain eût réalisé ses exploits sur d'autres terrains que les champs de batailles, laissant ainsi derrière lui deux bonnes centaines d'hypothétiques chérubins! Pour ce qui est de la réalité, cet homme «charmant» avide de faste et de beauté, fit de la Saxe en général et de Dresde en particulier, un modèle de splendeur. Jamais, hors le règne de cet extraordinaire monarque, arts et sciences de ce pays ne connurent une telle effervescence. Situation exceptionnelle probablement générée par la conversion tactique au catholicisme d'Auguste «Le Fort», qui lorgnait en fait le trône de Prusse. Adepte de la ruse et de l'imagination plus que de la force, Si d'un côté cette décision lui fit perdre son influence sur les villes protestantes du Reich, elle eut de l'autre le mérite d'ouvrir la Saxe à l'influence artistique et culturelle de l'Europe catholique, faisant du même coup de Dresde la «Florence sur l'Elbe». Florence, Venise ou Versailles les influences allaient donc bon train. L'exotisme et l'imagination s'entendaient comme larrons en foire avec la bénédiction du souverain. Pourvu d'un sens artistique indéniable, homme de plaisirs curieux de tout, notre «Hercule saxon», comme il aimait à se nommer, adorait en outre les sophistications gastronomiques françaises de Joseph LeBon, le Bocuse de l'époque. Si tout ceci vaut d'être évoqué, c'est que le premier ancêtre répertorié de la famille Lange, Johan Christian Gutkaes, est repéré dans les cuisines du château de Dresde à cette époque. Cuisinier de son état, il était le préposé aux cuillères à sauces et à soupes de sa majesté Auguste.

Quelques années plus tard... l'entrée en horlogerie
Frédéric-Auguste 1er n'est plus. Nous sommes en 1733 et son fils, Auguste III lui succède. Mais le trône de Pologne est électif et Stanislas Leczinski, père de la reine de France, soutenu par Louis XV, a décidé d'y installer son séant. Le parfum ambiant sent la magouille, les financiers s'agitent, l'argent change de mains, mais Stanislas malin et déterminé se déguise en marchand pour se rendre à Varsovie. Acclamé par la foule, il est proclamé roi sans penser que peut-être, contrairement aux apparences, l'affaire n'est pas gagnée... Car les Russes, partisans d'Auguste, entendent remettre les montres à l'heure qui leur convient et bouter hors du siège royal, Stanislas. Humiliée, la France décide alors de déclarer la guerre à l'Autriche. On ferraille jusque début juillet, Auguste III s'installe finalement sur le trône, l'aventure polonaise est provisoirement terminée et le temps continue de passer. Grand collectionneur devant l'Eternel le souverain amasse, quel qu'en soit le prix, les tableaux des grands maîtres et autres jolies choses. Des fabriques de tapis, manufactures de porcelaine, ateliers de taille des pierres précieuses voient le jour en Saxe et attirent l'argent. L'horlogerie quant à elle, demeure un artisanat étroitement lié à la cour. De grands noms s'y illustrent tels Johan Friedrich Schumann dont la fille, Friderica Carlotta est mariée au second horloger de la cour, Johan Christian Friedrich Gutkaes, né en 1785 et petit-fils du maître saucier. Egalement mathématicien, physicien, Gutkaes est nommé à la mort de Shumann, horloger responsable de la collection royale d'horlogerie; fonction qui lui vaut le privilège d'élire domicile dans la tour du palais de Dresde pour veiller à la bonne marche de l'horloge qui règle la routine de la cour saxonne. Cumulant allégrement les fonctions, le sieur dirige également non loin de là une manufacture d'horloges et de montres de précision, tout en concoctant patiemment pour l'opéra Semper de Dresde, une extraordinaire horloge digitale à incréments de 5 minutes. La dite horloge demeure encore aujourd'hui l'une des plus importantes du monde, historiquement parlant.

Quand le fondateur de la dynastie Lange fait connaissance de la cour
Né en 1815, Ferdinand Adolph Lange constitue, en tant qu'employé puis gendre et associé de Gutkaes, le lien entre ces deux familles. Cette année-là, mémorable pour l'Histoire, le congrès de Vienne s'achève. On y «met le sceau à la plus extraordinaire des oeuvres d'oppression et d'iniquité collectives que le monde eût connue», c'est la formation de la Sainte-Alliance. L'Allemagne alors change de visage quatre villes libres et 35 Etats souverains forment désormais la Confédération germanique, le royaume de Saxe voit le jour la même année que Ferdinand-Adolph Lange. Napoléon essuie de son côté un fameux et dernier revers dans la «morne plaine» de Waterloo... c'est le chant du cygne. L'Europe est en effervescence. Fils d'un armurier de Dresde dont le sale caractère provoque la séparation de ses parents, le jeune Ferdinand est confié aux bons soins d'une autre famille qui 15 ans plus tard, décident de le placer en apprentissage chez le célèbre Johan Christian Friedrich Gutkaes. Sa vive intelligence, sa volonté et son ambition prennent rapidement le pas sur sa santé fragile. Non pleinement satisfait de ses dons exceptionnels pour le métier, Langes inscrit à l'école polytechnique, étudie le fronçais et l'anglais dans le but d'aller voir et comprendre ce qu'ont à révéler les gard~temps de ces pays, alors considérés comme les plus créatifs en ce domaine. Lorsqu'il débarque à Paris en 1837 la France se porte plutôt bien, le budget frôle l'embonpoint, les travaux d'intérêt général fleurissent et la prospérité bourgeoise ne fait pas dans la discrétion. Le roi, fort aise, aime à se promener au jardin des plantes et ne dédaigne pas les clameurs saluant son passage. A droite à gauche on inaugure... le musée dédié à toutes les gloires de la France est installé au château de Versailles; la ligne de chemin de fer Paris-Saint Germain, qui inspire à Thiers de curieuses paroles «Il faut donner cela aux parisiens comme un jouet. Jomais on ne transportera de la sorte un voyageur ou même un seul bagage». Pendent ce temps-à Bugeaud concocte une nouvelle expédition contre Constantine et Talleyrand tire sa révérence au monde des vivants, non s'en s'être réconcilié avec l'église. Bref, c'est une année sereine qui accueille notre jeune saxon. Joseph Thaddaus Winnerl, célèbre fabricant de chronomètres qui fut l'un des meilleurs élèves d'Abraham Louis Breguet, le prend à son service et plus tard voudrait bien le garder! Nommé contremaître au bout de quatre ans, le jeune homme préfère néanmoins poursuivre ailleurs son chemin, se rend en Suisse puis en Angleterre. Bouillonnant d'idées et riche de l'expérience acquise, Ferdinand regagne enfin les ateliers Gutkaes, épouse Antonia la jeune fille de la maison, s'associe à son beau-père et devient la force vive de l'entreprise. Témoins ses carnets couverts d'innombrables calculs, de tables de conversion en système métrique, de dessins de mouvements complexes ou de machines-outils et autres raffinements. Peu enclin à l'à-peuprès qui prédomine à l'époque dans ce domaine, il refuse d'emprunter cette voie. De ses ateliers sortent les plus célèbres régulateurs de précision destinés à des observatoires de divers pays. Et Si preuve il faut, l'un d'eux, le numéro 32, se trouve aujourd'hui au musée d'Histoire des Sciences de Genève. Il a indiqué l'heure exacte durant 60 ans en Suisse.

De la conscience sociale â la naissance d'une marque
Révolté par l'extrême pauvreté et le manque de perspective qui règnent dans la région des monts d'Qre en 1843, Adoîphe Lange passe à l'action. Acharné, il conduit de difficiles négociations avec le ministère de l'intérieur, au terme desquelles il est autorisé à prendre sous sa coupe 15 jeunes paysans qu'il s'engage à former, en contrepartie d'un prêt de l'Etat s'élevant à 7820 thalers. Les jeunes gens se doivent en échange de travailler 5 ans dans l'entreprise et de rembourser par échéances hebdomadaires le coût de leur formation. Nous sommes en décembre 1845 et la lutte avec l'opposition libérale se fait de plus en plus dure. L'importance du développement industriel provoque des dissensions très nettes entre patrons d'une part, artisans et ouvriers de l'autre. C'est à Glashùtte-patrie des oies et des tas de fumiers, alors à peine reliée au monde extérieur par une voie tout juste carrossable et par une voiture postale ne passant qu'une fois par semaine c'est donc à Glashùtte et dans un climat social qui n'augure rien de bon, que Lange bâtit ses premiers ate liers. Il y construit en outre des machines~utils perfectionnées permettant un travail d'une extrême précision. Qu'importe pour lui les difficultés L'inauguration se fait en grandes pompes dans l'optimisme, et en présence d'un représentant du gouvernement qui déclare «Que ce jour constitue l'heureux point de départ d'une entreprise qui promet d'apporter un jour à la ville et à ses environs, une maind'oeuvre durable et des gains en suffisance.»Son beau-frère, le maître horloger Adolph Schneider est à ses côtés. Elu maire de la ville, Adolph Lange n'a de cesse durant les 18 années de son mandat, d'encourager le développement d'infrastructures Similaires. Des centaines d'emplois stables et bien rémunérés transforment Glashûtte en une cité prospère et les ateliers Lange, grâce au génie du maître des lieux, deviennent le plus beau fleuron de l'horlogerie de précision allemande. Pour la première fois des composants sont fabriqués sur la base de calculs mathématiques précis, et rapidement ses mouvements deviennent représentatifs des meilleurs standards en matière de fabrication d'instruments. L'élaboration des pièces s'améliore en vitesse et en précision, grâce à l'introduction de puissantes «Flywheel lathes». Ses théories en matière de division du travail encouragent un certain nombre de ses employés à s'installer à leur compte dans des ateliers spécialisés en joyaux pour montres, visserie, roues, ressorts ou aiguilles. C'est à lui que l'Allemagne doit l'importation de l'horlogerie de précision et les travaux qui en découlèrent.

La marche vers l'exception
Certaines de ses constructions sont d'une complexité extraordinaire. Il est le père de garde temps comportant pour la première fois des pièces de roulement calculé de manière précise. Il est aussi celui du balancier compensateur. «J'associe la forme plaisante d'une montre cylindrique suisse à la longévité et à la précision reconnues depuis longtemps sur la montre à ancre réalisée en Angleterre, très chère mais peu commode.» écrit-il. Cela donne l'échappement à ancre légendaire de Glashùtte. En 1861 il fabrique une montre de poche à seconde morte et barillet unique. En 1863, une montre de poche dotée d'un dispositif d'arrêt (chronographe) et du mécanisme sous le cadran. Pour obte nir un coussinet stable, indéformable et sans contrainte de rouage, Adolph Lange introduit en 1864 une nouvelle plate-forme avec platine trois-quarts. Vient ensuite une montre calendrier indiquant la date, le jour de la semaine, le mois et les phases de la lune; puis un dispositif de réglage de précision, où les spiraux avec courbes Philipps spécifiques représentent le standard le plus élevé de la fabrication horlogère. Tout au long de son oeuvre, il cherche à apporter une amélioration, mais pour être un perfectionniste acharné il n'en est pas moins profondément humain et pédagogue. L'histoire veut qu'en effet plutôt que de traduire en justice un apprenti qui l'avait volé, il le prit chez jui sous sa protection pour en faire un horloger honnête et appliqué. En 1868 Richard, le fils aîné devient copropriétaire et depuis lors, la société s'appelle 'A. Lange & Söhne'. En 1869 Adolph est élu député au Landtag saxon. Sa dernière réalisation voit le jpur, il s'agit de la plus petite montre à ancre et secondes pour dame, dont le diamètre du mouvement n'excède pas 25 mm. Ainsi s'achève l'histoire de ce personnage hors du commun auquel sa ville rend hommage en lui dédiant un monument. La mort frappe sans états d'âme et l'emporte brutalement le 3 décembre 1875. Il n'a que 60 ans et demeure encore aujourd'hui pour tous les amateurs de belles mécaniques horlogères, l'homme qui non seulement a laissé son empreinte dans l'art horloger, mais aussi joué un rôle important dand l'histoire de la Saxe. C'est une affaire prospère, une reconnaissance internationale et des perspectives économiques intéressantes qu'il laisse à ses fils et petits-fils.

Lorsque Glashùtte devient et le berceau de l'horlogerie de précision
Suivant la voie royale ouverte par son ami Adolph Lange, l'écrivain théoricien Moritz Grossman crée en 1878 'L'ecole d'horlogerie allemande' (DUS) qui permet à Glashùtte de couper le cordon ombilical qui la relie à la Suisse et la France. Â la mort de son père, Emil le fils cadet, rejoint l'affaire et développe les aspects techniques et esthétiques des montres Lange, leur conférant ainsi la première fois, rendit possible la fabrication industrielle de montres de précision de valeur élevée. La fin du siècle s'installe, alors que la France se passionne pour Dreyfus,, que Zola se voit condamné pour diffamation devant la Cour d'assise de Versailles, Apollinaire le bâtard vagabonde à la recherche de lui-même... la Rhénanie, la Forêt Noire, la Bohème... sa sensibilité, sa pauvreté, ses pieds sont ses seuls compagnons et son oeuvre toute entière restera imprégnée de ses années d'errance. D'autres font dans l'opulence... lors d'une visite officielle à Constantinople, le Kaiser Wilhelm II offre en cadeau au sultan Abdul Hamit _II, une somptueuse montre de poche signée A. Lange & Söhne, richement ornée du portrait en émail du Kaiser, de diamants, de rubis. Présent lors de l'Exposition Universelle de Paris en 1900 Emil Lange est, en 1902, fait chevalier de la Légion d'honneur en reconnaissance de ses services. Très rapidement la nouvelle génération entre en scène et s'introduit à son tour dans l'affaire. En 1906 Otto arrive. Il possède dit-on, le même génie que ses prédécesseurs. A la mort de son père, secondé par ses frères Rudolph et Gerhard, il prend avec succès la direction de l'entreprise. Deux ans plus tard sort le chrono-graphe Lange dans son boîtier «Louis XV à goutte», doté d'un calendrier perpétuel, d'une oscillation automatique 4/4, de la répétition des minutes, de l'aiguille des secondes et d'un compteur de minutes. Le montant de la merveille s'élève à 4930 Marks or, soit à l'époque la valeur de deux jolies maisons i A Dresde, le roi Frédéric-Auguste III renonce au trône et la république est proclamée le 10 novembre 1918. En France on conduit Landru à la guillotine, c'est l'année 1922, le parlement vote une loi qui interdit les majorations de loyers; un mauvais calcul qui, s'il satisfait sur le coup une majorité de français, entraîne rapidement une longue crise du logement. La France va-t-elle occuper la Ruhr? La question est posée alors que la campagne contre l'Allemagne s'intensifie. Préférant ignorer les difficultés intérieures et extérieures, le léger Paris fait la fête, les moeurs se libèrent, le jazz triomphe et les postes de radio se vendent allégrement. En Allemagne, le ministre des affaires étrangères est assassiné, le mark s'effondre de jour en jour, les dettes s'accumulent. «C'est pas la joie». Et Si, sur fond de dépression mondiale la montre-bracelet avait obtenu la suprématie, les temps sont devenus plus difficiles. Certains fabriquants allemands de renom doivent fermer leur porte. Chez A. Lange & Söhne c'est à la réputation exceptionnelle des montres de gousset que l'on doit la continuité de l'activité. En 1924 à Dresde, la famille Lange fête l'arrivée d'un dernier rejeton, Walter. Ici comme ailleurs en famille et dans le monde, le ciment de l'Histoire se prépare au jour le jour. C'est l'ère des exploits aériens, des prouesses de fous, des paris msensés... C'est -dans quelles conditions !- l'avènement de l'aviation commerciale et des Lignes Latécoère. Nungesser et Coli, Jean Mermoz, Saint-Exupéry, Charles Lindberg et bien d'autres participent de l'aventure pour le pire ou le meilleur. La dette de guerre que l'Allemagne doit verser à la France est purement et simplement annulée à l'issue de la conférence de Lausanne, mais rien de tel pour ce qui concerne les dettes de la France envers les Etats-Unis... la colère gronde en 1932. Réarmement, mépris du traité de Versailles, réinstauration du service militaire obligatoire, dénonciation du pacte de Locarno, l'Allemagne menace... Hitler n'y va pas avec «le dos de la cuillère» dans ces années-là. Inquiétudes, conférences internationales, déclarations et coups de théâtre, le ciel s'obscurcit... en coulisses, la guerre se prépare. Est-ce la noirceur du climat ambiant qui en 1937 inspire à Freud ces réflexions pessimistes à l'adresse de son ami Stephan Zweig ? «Mon travail est derrière moi, comme vous le dites vous-même. Personne ne peut prédire comment les génération futures l'évalueront. Je ne suis pas très sûr de moi-même, de toute façon le doute est inséparable de la recherche, et l'on a certainement pas trouvé plus qu'une pe tite parcelle de la vérité. L'avenir proche paraît bien sombre, même pour ma psychanalyse. Dans tous les cas, pendant les semaines ou les mois qui me restent à vivre, je n'éprouverai plus aucune joie».

Lorsque le mauvais sort s'acharne
Pendant ce temps-là, Walter, atteint du virus héréditaire suit à son tour une formation de maître horloger, mais bientôt la guerre fait rage. Alors que Céline l'écrivain français signe à Berlin «Le manifeste des intellectuels français contre les bombardements anglais sur Paris», le jeune allemand, mobilisé en 1942, revient en 1945 grièvement blessé et s'installe à Glashùtte pour sa convalescence. A peine arrivé il assiste au bombardement des ate liers de production de la société familiale. Les russes aché vent la conquête de Berlin en ruine, Hitler épouse Eva Braun et choisit comme voyage de noce l'au-delà, suivi de Goebbels et de sa famille. Adieu va! Le 8 mai, l'AIlemagne totalement désorganisée, épuisée moralement et physiquement signe la capitulation. Profondément atteinte, mais pas vaincue, la famillet Lange retrousse ses manches, quoi qu'il en coûte les ateliers A. Lange & Söhne seront remis debout, les machines endommagées, réparées. Le sort s'acharne pourtant, en mars 1946 les Lange se battent becs et ongles, mais avec succès, pour empêcher la puissance soviétique d'occupation de réquisitionner l'entreprise, avec référence à l'ordre n0 124 bien connu, qui exproprie les criminels de guerre et les nazis. Pourtant, le régime de la douche écossaise est encore en vigueur chez A. Lange & Söhne, le 20 avril 1948, trois jours après la levée de l'ordre de séquestre, la firme est cette fois expropriée illégalement par le gouvernement SED du Land. Les propriétaires en sont de surcroît interdits d'accès. En clair, l'entreprise est nationalisée. Seul Walter Lange, qui à l'époque n'était pas encore coprapriéta ire, continue quelque temps d'y collaborer comme maître horloger. La gêne c'est bien connu, n'engendre pas le plaisir et l'armée rouge fait sien le vieil adage. Ivre de Sa victoire elle décide purement et simplement, sur ordre de Staline, de s'approprier une partie des infrastructures industrielles allemandes. Lange & Söhne justement qui a de bien belles et performantes machines-outils. Et allez donc I On transporte par chemin de fer et l'on réinstalle non loin de Moscou. L'affaire est Si bonne qu'aujourd'hui certaines montres russes sont toujours fabriquées par ces machines. Mais encore et encore le sort s'acharne, parce qu'il refuse d'adhérer au FDGB -le syndicat unifié du régime Walter s'entend intimer l'ordre d'aller voir à quoi ressemblent les travaux forcés dans les mines d'uranium. Un genre d'ordre qu'il ne goûte guère et provoque sa fuite à l'ouest. En 1951, le nom cessera d'apparaître sur le cadran des montres. En 1953 ses parents sont arrêtés. A partir de 1976 pourtant, Walter Lange et son épouse installés à Pforzheim, se rendent une fois par an à Glashùtte.

D'une renaissance considérée comme impossible â la nouvelle manufacture Lange de Glashùtte
Malgré les efforts des frères Ferdinand-Adolf et Walter Lange de reconstruire l'entreprise familiale à Pforzheim -ville ancienne de l'Allemagne de l'ouest spécialisée dans l'horlogerie et l'orfèvrerie- le projet ne peut se réaliser. Ce n'est qu'avec l'effondrement de la RDA et la réunification allemande que l'espoir revient et donne à Walter le courage nécessaire pour réclamer l'héritage d'une longue tradition familiale considérée comme perdue. A. Lange & Söhne doit reprendre coûte que coûte sa place au sein des montres de luxe, devenu monopole de la Suisse I Malgré un scepticisme ambiant clairement affiché et le refus de l'administration fiduciaire allemande de lui rendre les bâtiments familiaux, il consacre à son rêve tous ses efforts et 145 ans après que son arrière, arrière grand-père eut créé la sienne, il fonde à son tour, le 7 décembre 1990 sa société : «Lange Uhren GmbH.» inscrite au registre du commerce de Dresde. La marque «A. Lange & Söhne» est simultanément redéposée dans le monde entier. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Les candidatures spontanées affluent, émanant pour beaucoup de jeunes descendants d'employés de Lange. Ce sont les meilleurs artisans de Glashùtte qui arrivent l'espoir au coeur, et non plus de frustres garçons de ferme I Combinant l'héritage du passé aux attentes d'aujourd'hui, le maître est fin prêt pour donner naissance à un nouveau concept horloger. C'est finalement avec l'aide financière du groupe horloger LMH, associée aux techniques de pointe de la marque IWC, que Walter Lange installe sa nouvelle fabrique dans les anciens locaux de l'entreprise d'horlogerie de précision Strasser & Rohde. Il en partage la direction avec Hartmut Knothe, et Gunter Blumlein responsable de LMH. 20 millions de DM sont investis dans la reconstruction avant même qu'une seule montre n'ait pu quitter les ateliers. Car il faut auparavant fabriquer tous les campa sants, platines, ponts, pièces en acier, roues et pignons. Les objectifs de Walter Lange sont clairs. «Refaire des montres telles que mon grand-père les aurait réalisées.» «Je vous promets, dit-il, que nous nous installerons de nouveau sur les lieux mêmes où A. Lange & Söhne a dû un jour cesser son activité. Nos premières nouvelles montres -toutes sans exception des montres-bracelets- ne sont pas bien sûr des copies des célèbres montres de poche que Lange a fabriquées jusqu'à la guerre. Mais pour ce qui est de l'amour de l'exception, de la perfection horlogère, de l'unicité et de la valeur extrême, elles sont toutes conçues sans exception dans l'esprit et avec les éléments distinctifs des anciennes montres Lange. En font partie la platine troisquarts fonctionnelle et toujours appropriée, l'utilisation des matériaux les plus raffinés - or et platine pour les boîtiers, argentan laminé stable pour platines et ponts, cadrans en argent massif, chatons en or pour les rubis des rouages ou les contre-pivots en diamants pour le Tourbillon.» Une trentaine d'employés pour commencer, 70 en 1995 et plus de 80 actuellement... dans une région encore durement éprouvée par le chômage, «A.Lange & Sôhne» présente une garantie d'emploi pre cieuse. Tous les collaborateurs de Lange, horlogers, constructeurs, ingénieurs et outilleurs, reçoivent chez IWC une for mation supplémentaire dans les techniques les plus mo dernes de production et de mesure, qui puissent exister aulourd'hui dans l'horlogerie. Les points de vente suivent la progression, partis de 15 en 1994, ils passent les frontières l'année suivante, Paris, Milan, Rome, puis Singapour, Tokyo, Hongkong, entre autres. Les montres de la nouvelle ère sont équipées d'un spiral de balancier Strasser ou Lange, selon le dessin de sa courbe terminale. Des améliorations notoires sont apportées, qui permettent l'ajustement au repère de l'échappement sans nécessité de démonter le coq du balancier, ni de perturber les réglages antérieurs. Inutile de préciser que le façonnage de telles pièces ne saurait tolérer la moindre faille et exige un niveau de qualité et de précision mécanique hors du commun. Neuve ou ancienne une montre Lange conservera toujours son caractère exclusif et ceci justifiant cela, la gamme de prix de ces bijoux se situe entre 12 000 et 140 000 DM. Sacré défi dans une conjoncture horlogère médiocre assortie d'une forte concurrence et d'un marché de plus en plus saturé. Qu'importe. Et pourquoi pas tant mieux! 120 montres sortent des ateliers fin 94 et c'est le miracle. Distribuées exclusivement chez 12 des meilleurs joailliers et magasins spécialisés du territoire germanophone, elles suscitent immédiatement des désirs fous de possession chez les amateurs. Pour preuve les 750 montres achevées et vendues l'année suivante. Aujourd'hui, avec plus de 2 000 pièces produites de manière largement artisanale et pratiquement toutes réservées à l'avance, la manufacture se rapproche de sa limite de capacité.

Caractéristiques communes des nouvelles montres «A. Lange & Söhne»
Dans des ateliers de production d'avant-garde, 80 collaborateurs travaillent aujourd'hui au prestige des nouvelles montres «A.Lange & Söhne». Car nous le savons, la saciété fait partie du tout petit cercle en voie de disparition des manufactures qui n'utilisent que leurs propres mouvements. Compte tenu du travail artisanal de grande qualité que leur finition exige, chacune de ces montres n'existent qu'en nombre limité. Rappelons enfin que toutes ont en commun certaines caractéristiques exceptionnelles: Bol-tiers, cadrans et boucles réalisés en métaux précieux. Lunettes vissés à fleur sur les boîtiers. Glaces taillées dans du coridon présentant une dureté de 9 sur l'échelle de Mols (Seul le diamant est plus dur). Couronnes en or massif ou platine, rehaussées de la signature Lange en relief et poussoirs destinés au réglage de la grande date, sont équipés de joints haute étanchéité. Minutieusement finis et polis à la main tous les boîtiers sont estampillés et gravés du numéro de série, à l'intérieur comme à l'extérieur. Sur la bande de carrure figurent le nom de la fabrique, associe à Glashùtte et la marque «A.Lange & Söhne». Les montres Lange sont des propres mouvements à remontage manuel, de la société. La platine 3/4 est réalisée en maillechort laminé, décoré de fines côtes de Glashù'tte. Les coqs de balancier sont gravés à la main. Le sertissage des rubis dans les chatons en or maintenus par des vis en acier bleui. Tous les balanciers sont équipés de vis de compensation et réglés en 5 positions. Et pour terminer, la raquette extra longue, permet de juger la finesse du travail relatif au tourbillon, monté entre deux contre-pivots en diamant. Rappelons pour clore ce chapitre que la Grande Date (première mondial pour une montre mécanique) ainsi que le dispositif «chaîne-fusée» à force constante et transmission par roue satellite (inédit sur une montre-bracelet) sont au nombre des brevets hautement récompensés, déposés par A. Lange & Söhne.

Le secret révélé de la Grande Date Lange
C e dispositif d'indication consiste en deux disques commandés mécaniquement et superposés: une croix pour les dizaines et un anneau pour les unités. Leur combinaison permet une indication de la date plus de cinq fois supérieure en taille à celle des dispositifs de date conventionnels numérotés de 1 à 31. Il faut savoir, qu'un disque de date conventionnel porte tous les nombres sur sa circonférence (1 à 31), ce qui rend son indication im- -possible su r les montres de petite taille. Dans le cas présent, le mouvement fait avancer le disque d'un cran toutes les 24 heures et les nombres apparaissent l'un après l'autre. Mais l'intervention de deux disques superposés nécessite la mise au point d'un programme mécanique. Afin que le 31 du mois ne soit pas suivi par le 32, l'anneau des unités doit rester sur le 1 , tandis que la croix des dizaines avance pour afficher un blanc. Le mécanisme de la date est situé sous la platine d'où il entraîne les disques logés de l'autre côté, dans les creusures ménagées sur la surface supérieure de la platine. La croix et l'anneau sont commandées par deux roues qui coordonnent les dizaines et les unités, de sorte que le premier jour du mois puisse succéder, dans le guichet, au 31 du mois précédent. Le hic ? Cinq mois de l'année comptent moins de 3 i jours. Soit. Lange a, pour pallier le problème, intégré un poussoir qui permet de corriger facilement les irrégularités du calendrier. Le correcteur rapide est particulièrement utile dans tous les cas où l'arrêt de la montre imposerait un réglage de la date. Ainsi le tour est ingénieusement joué!

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